Nicolas Tixier, « Transects urbains ou comment couper la ville par le milieu » jeudi 15 juin 11h00 F
Le terme « transect » désigne pour les géographes « un dispositif d’observation de terrain ou la représentation d’un espace, le long d’un tracé linéaire et selon la dimension verticale, destiné à mettre en évidence une superposition, une succession spatiale ou des relations entre phénomènes » (Marie-Claire Robic, 2005). Appliqué au développement d’un territoire, le transect est une pratique dont les éléments ont été théorisés et mis en application au début du XXe siècle, en particulier par l’urbaniste-botaniste Patrick Geddes en Écosse. Technique de représentation autant que pratique de terrain, le transect est aujourd’hui revisité. Pour nous, il se présente comme un dispositif hybride entre la coupe technique et le parcours sensible : il se construit par le dessin, la photo, la mesure, le texte ou la vidéo, autant qu’il se pratique in situ, par la perception, la parole, la déambulation, en général par la marche. Réhabilitant de fait la dimension atmosphérique dans les représentations urbaines, rendant possible l’inscription de récits habitants dans les débats spécialisés entre disciplines, le transect devient un outil d’interrogation et d’expression de l’espace sensible et des pratiques vécues. Comme tel le transect permet d’articuler deux postures habituellement dissociées, celles de l’analyse et de la conception. Il emprunte à l’inventaire sa capacité à repérer et collecter les situations singulières ou génériques, renvoie directement aux atlas mnemosynes d’Aby Warburg et au paradigme indiciaire de Carlos Ginzburg, où le passage du plan à la coupe permet de déployer la ville dans son épaisseur sociale, environnementale, historique. Représentations graphiques, récits de vie, perceptions d’ambiance... Le transect devient un espace de travail partageable et amendable entre les acteurs du territoire, de l’habitant à l’expert en passant par le décideur et le concepteur. En termes deleuziens, nous en faisons le symbole d’une approche de la ville « par le milieu ». C’est bien ce potentiel métonymique de la coupe qui permet d’inscrire en filigrane, dans la représentation graphique statique du transect, les récits de vie autant que les perceptions d’ambiance. La coupe n’implique pas de dominante disciplinaire ni d’exhaustivité des données pour un lieu ; bien au contraire, elle sélectionne tout ce qui se trouve sur son fil et autorise, précisément, les rencontres entre les dimensions architecturales, sensibles et sociales, entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public, entre le mobile et le construit, etc. Et si l’on prend un peu du recul, elle permet la lecture des strates historiques autant que des répartitions programmatiques. Entre le grand récit, historique, d’une ville et les micro-récits, pragmatiques, de l’usage, le transect devient un instrument de narration idéal pour penser les ambiances urbaines comme pour inscrire le projet urbain dans une tension entre héritage et fiction. Nicolas Tixier est architecte et docteur en sciences pour l’ingénieur. Professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, il enseigne aussi à l’École supérieure d’art de l’agglomération d’Annecy. Chercheur au Cresson (UMR AAU), il mène parallèlement une activité de projet au sein du collectif BazarUrbain. De 2003 à 2010, il a été chargé de mission scientifique au Bureau de la recherche architecturale, urbaine et paysagère. Depuis 2009, il est président de la Cinémathèque de Grenoble. Ses travaux actuels portent sur le transect urbain, comme pratique de terrain, technique de représentation et posture de projet.